Mon intérêt pour la question de la place de la motivation dans l’apprentissage est parti d’une expérience personnelle que j’ai vécue en tant que parent d’un jeune garçon qui n’aime pas l’école (si, si cela n’arrive pas qu’aux autres). Il a jusqu’à présent vécu des difficultés scolaires qui, accumulées, ont abimé sa confiance en lui (sur le plan scolaire) ainsi que son sentiment d’efficacité. Elles ont créé chez lui, de manière ponctuelle mais récurrente, une sorte de résignation, de manque de motivation à travailler qui pourrait se traduire ainsi : « à quoi bon travailler, de toute façon je n’y arrive pas, je ne suis pas capable ».
Lors d’un réseau (c’est-à-dire des réunions avec les enseignants, la direction de l’école et souvent d’autres professionnels), je repense encore à la tête du Doyen quand je lui ai dit que mon fils souffrait sûrement d’un trouble de la motivation, et je me souviens surtout de sa réponse : « ah, ça existe ça ? ». Et mon fils est reparti chez la logopédiste et la psychologue scolaire afin qu’on lui trouve un trouble un peu plus sérieux.
Puis, mes études de psychologie et notamment mes cours en psychologie sociale des apprentissages m’ont fait découvrir la théorie de l’attribution et la question de la motivation, sa place dans la question des apprentissages à l’école mais surtout son importance sur le plaisir d’apprendre (oui, ça peut exister !). Et là, j’ai eu envie de remonter le temps, de revenir à ce fameux réseau, car je les avais enfin mes arguments. Mais oui ! Le manque de motivation peut avoir un impact sur les apprentissages mais aussi sur le décrochage scolaire.
Dans sa définition même, je trouve ce terme de motivation intéressant car il se définit essentiellement par deux critères : un intérêt pour une matière mais aussi le plaisir d’apprendre. Il lie donc le cognitif et les affects.
Un élève peut passer par différents types de motivation durant sa scolarité. La motivation n’est pas quelque chose de figé dans le temps, elle évolue. Ainsi donc, rien n’est gravé dans la pierre, aucune fatalité ! L’espoir est permis.
La motivation se définit par un intérêt pour la matière ainsi que par le plaisir d’apprendre : elle lie donc le cognitif et les affects !
Parfois, certains élèves ont naturellement un intérêt pour une matière et du plaisir. Dans ce cas on parle de motivation intrinsèque, plus solide car en ayant un intérêt et du plaisir pour une ou plusieurs matières, l’enfant cherche à devenir compétent. D’autres élèves, quant à eux, ont intégré à travers les valeurs véhiculées par leurs parents ou par la société que l’école était importante, qu’il fallait bien travailler. Ils se montrent donc des élèves consciencieux mais sans plaisir, motivés par la meilleure note ou par le fait de se montrer compétent. Nous sommes là dans une motivation externe, plus fragile que la motivation intrinsèque.
D’autres élèves, suite à des échecs successifs, deviennent résignés, « amotivés » et ne pouvant pas fuir l’espace classe, deviennent comme absents en classe.
Ce sentiment d’inefficacité dû souvent à des échecs scolaires répétés pourrait être une des causes identifiées du décrochage scolaire selon Germain Duclos (auteur canadien dont je me suis inspirée pour écrire ces quelques lignes), ce décrochage étant lié lui-même à un manque de motivation suite à ces échecs.
Ce sentiment d’inefficacité dû souvent à des échecs scolaires répétés pourrait être une des causes identifiées du décrochage scolaire.
Qui n’a jamais pensé à propos de son élève ou de son enfant ceci : « il devrait se montrer plus motivé », « il faudrait le motiver à travailler » ou encore « il pourrait être plus passionné pour l’école, c’est important», « il devrait avoir plus de plaisir à apprendre ».
Je me pose alors cette question, éclairée notamment par le modèle de l’école de Palo Alto et par les apports de Gregory Bateson : Le plaisir et le désir vont-t-ils de pair avec des verbes tels que devoir, falloir, pouvoir ou peuvent-ils se conjuguer à l’impératif ? Y a-t-il quelque chose de bizarre lorsqu’on dit : « aie du plaisir » ou « aie du désir » ?
Peut-on alors exiger une meilleure motivation, de la part de nos enfants et de nos élèves ? Peut-on avoir une influence sur une notion si intime, si naturelle et « processive », c’est-à-dire naturelle et quasi organique, qu’est la motivation ?
Avant d’essayer d’apporter un bout de réponse à cette question, voici comment Germain Duclos définit la motivation :
« Un ensemble de désirs et de volonté qui poussent une personne à accomplir une tâche ou à viser un objectif correspondant à un besoin. »
Et c’est là que je trouve cette notion précieuse car elle associe dans sa définition ce qui est processif (ce qui est du l’ordre du naturel, de ce que l’on ressent, de la vie qui suit son cours) et ce qui est réflexif (qui est de l’ordre de la volonté et de la pensée). Et cela semble évident que la motivation serait plus solide si plaisir et intérêt pour une matière, coïncidaient.
Peut-on avoir une influence sur une notion si intime, si naturelle et « processive », c’est-à-dire naturelle et quasi organique, qu’est la motivation ?
Selon Germain Duclos, la motivation « se favorise mais ne s’impose pas ». Mais alors, si on ne peut pas imposer ni forcer la motivation de nos enfants ou élèves, comment alors la stimuler ou la favoriser ? Cet auteur apporte quelques pistes, pistes que j’ai pu mettre en lien avec certains concepts théoriques de l’école de Palo Alto.
La piste qu’il propose est la suivante : redonner du choix à l’enfant et donc le responsabiliser en favorisant son autonomie. Cela renvoie donc à des idées que nous mettons en avant quotidiennement au Centre Sésames à travers nos consultations et formations. Ces termes tels que « choix », « autonomie » et « responsabilisation » constituent pour nous des balises précieuses et essentielles.
L’idée centrale est que l’on a peu de pouvoir sur le désir d’autrui. Et la motivation n’échappe pas à ce constat : il n’y a que le jeune qui peut trouver en lui la motivation, nul ne peut l’y obliger.
Duclos compare la motivation intrinsèque à la faim : On ne peut forcer un enfant à avoir de l’appétit. Tout au plus peut-on varier son menu et lui présenter de bons petits plats pour l’inciter à manger.
On a peu de pouvoir sur le désir d’autrui. Et la motivation n’échappe pas à ce constat.
Et l’intelligence ici ne rentre pas en ligne de compte. La motivation est plutôt perçue comme le moteur de l’activité intellectuelle. Je partage d’ailleurs avec vous cette jolie métaphore qui ajoute également la variable relationnelle à la question de la stimulation de la motivation. Elle renvoie à la posture qui est la suivante : les parents ou les enseignants ne peuvent que guider leurs élèves ou enfants mais ne peuvent pas faire à leur place ni les forcer à désirer travailler s’ils ne le souhaitent pas. Tout au plus, peuvent-ils leur donner envie, leur montrer le chemin. Mais le chemin, ils le parcourront s’ils en ont l’envie. Et peut-être si on leur donne l’envie… ou pas.
L’intelligence c’est comme le moteur d’une automobile. On peut avoir de grandes capacités intellectuelles, tout comme une voiture peut posséder un bon moteur mais s’il n’y a pas d’essence la voiture ne roulera pas. Deux ou trois personnes peuvent bien la pousser elle n’ira pas très loin. Il en va de même pour des enfants peu motivés. L’enseignant peut bien pousser, les parents aussi. Si l’enfant ne s’en mêle pas il ne sera pas auto-mobile.
Il est donc important de parler ici de l’importance du facteur relationnel dans la question de la motivation et plus particulièrement en classe. La relation de confiance que l’enseignant établit dans sa classe avec ses élèves, sa bienveillance, le sentiment d’appartenance pour l’élève à un système classe seraient des facteurs essentiels pour motiver un élève à travailler et surtout pour éviter qu’il perde son estime de soi et son sentiment d’efficacité en la chose scolaire.
Surprotéger un enfant c’est faire les choses à sa place alors qu’il serait capable d’y arriver seul. On lui envoie ainsi deux messages: d’abord que l’on s’inquiète pour lui et que l’on tient à lui, mais aussi qu’il n’est pas capable d’y arriver tout seul.
La motivation peut donc être stimulée mais à contrario qu’est ce qui pourrait l’entraver ?
Une des causes évoquées dans l’ouvrage de Duclos est la suivante : « L’une des causes qui empêche de développer la motivation de l’enfant à l’école est la surprotection. »
Selon lui, lorsqu’aucune tentative d’autonomie ni aucun effort n’est stimulé chez l’enfant, il pourrait en résulter une dépendance, une recherche de la facilité, mais aussi une fuite de l’effort. Surprotéger un enfant ou un élève, c’est faire les choses à sa place alors qu’il serait capable d’y arriver tout seul.
En surprotégeant ou en faisant pour l’enfant on lui renvoie implicitement, sans le vouloir bien entendu, deux messages : d’abord que l’on s’inquiète pour lui et que l’on tient à lui mais aussi qu’il n’est pas capable d’y arriver tout seul. On lui enverrait donc un jugement d’incompétence qui pourrait déboucher sur un manque de confiance qui, s’il dure, pourrait, additionné à d’autres facteurs, parfois conduire au décrochage scolaire.
Nadia Riva
Références utiles :
- La motivation à l’école, un passeport pour l’avenir, Germain Duclos, Broché, 2010
- Bref ! (Comment faire pour que ça change vite et durablement avec Palo Alto), Muriel Chabert, Enrick B. Editions, 2017